Expositions
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Pépins frais

Jonathan Bablon

21 avril-17 mai

vernissage le vendredi 21 avril 18h

les samedis 29 avril, 6 et 13 mai à 17h

atelier de philo, les mots de l’exposition et visite guidée

Jonathan Bablon est un artiste contemporain qui travaille depuis une dizaine d’années sur le trouble de l’époque actuelle, sur son climat d’incertitude et la difficulté d’imaginer un avenir souriant pour la vie à la surface de la planète. Ses peintures, sculptures et installations laissent affleurer d’étranges combinaisons des trois règnes de la nature, des superpositions d’images issues de paysages, d’oeuvres d’art et de l’imagerie technoscientifique, des branchements imprévus entre la nature et la technologie.

De ces hybridations élaborées dans un autre espace-temps naissent des créations chatoyantes et mystérieuses, d’énigmatiques fleurs, séduisantes et troublantes, lourdes d’interrogation, des plantes comme des feuilles de viande, des fleurs de chair, des tomates usinées, des chimères peu viables, peu enviables, mais des miroirs reflétant nos projections sur le futur. Les peintures rupestres présentes ça et là introduisent l’inquiétude liée à l’évolution : de tout temps les hommes ont projeté sur des parois des images de leur devenir, de leur avenir, mais que pouvons- nous projeter, maintenant que notre imaginaire est stérilisé par la faillite du projet de maitrise qui a porté le monde moderne ? les images de Jonathan Bablon vont nous accompagner, elles calment la tempête, ne cèdent pas aux sirènes de la catastrophe ou du salut final, elles créent des haltes provisoires et des lieux paisibles aptes à régénérer l’imaginaire, développer des fictions comme des graines pour ensemencer le monde, vivre avec le trouble, comme le dit D Haraway, qu’il ne cesse de méditer et de figurer dans ses œuvres.

T.GRAV-4

Le vivant, une inépuisable source de création?
Les peintures et sculptures de Jonathan Bablon séduisent autant qu’elles surprennent, elles bousculent les esprits par leur étrangeté et leur singularité, leur pouvoir d’interpellation, leurs titres, souvent des acronymes qui les propulse dans des univers de science-fiction, leur manière très spéculative d’associer, de superposer les paysages les plus extraordinaires de la nature, des images de peintures célèbres et toute l’imagerie produite aujourd’hui par la science : des modélisations inouïes de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, des coupes dans les tissus biologiques ou les sols, des diagrammes d’objets techniques, des planches explicatives. Toutes sont de nature à prouver qu’il y plus d’invention et de création dans le réel que dans la fiction, que l’art se doit de sonder en profondeur, d’étaler en surface cette source d’invention qu’est la vie, son potentiel de création, telle qu’elle anime et s’exprime dans le vivant, traverse le monde
L’artiste s’y emploie avec des couleurs vives et chatoyantes, des couleurs lumière qui orientent leurs faisceaux sur les flux de vie traversant les cellules, les matières, voire les dispositifs techniques, il rivalise avec les réactifs chimiques qui mettent en couleur et en lumière l’imagerie scientifique. Cette puissance de vie qui s’empare des éléments pour les rendre vivants est d’autant plus exhaussée que ces éléments sont quelconques, des poils, de la graisse et de la viande dans T.GRAV par exemple, tranches de peau en croissance ,les merveilles de notre porosité au monde, des paysages de chair exceptionnellement toniques qui pourraient éclore en bouquets inquiétants dans les pages des Illuminations, des fleurs à la Rimbaud. Le geste de Jonathan provient bien de la peinture, de l’imaginaire des relations entre les couleurs et la lumière, de cette opération alchimique qui consiste à transmuter en lumière le plus terne ou ce qui est peu digne d’intérêt.


Vivre « avec »le désastre, le monde peut-il prendre fin?
Ces œuvres se portent bien et diffusent une impression de bonne santé, de « grande santé » devrait-on dire, reprenant ce terme de Nietzsche qui évoque la traversée de tous les tourments et désastres, elles sont d’autant plus suggestives dans un monde où la vie est mise à mal et polluée de multiples façons. Elles mettent en avant une parabole poétique, une « nouvelle alliance » de la nature et la technique pour changer le rôle des humains sur la planète. Les formes étonnantes dans cette peinture sont souvent des reprises de modèles de la recherche scientifiques, de fabuleux dispositifs techniques inventés par la vie à toutes les échelles du vivant ; des mitochondries, comme de minuscules haut-fourneaux ou centrales nucléaires pour produire l’énergie dont nous avons besoin, les incroyables villosités qui dans nos organes amplifient les surfaces d’échange et d’absorption…Si la nature donne l’exemple à la technique, celle-ci peut se rapprocher de la nature :elle se greffe sur elle avec des ramifications de tubes et tuyaux, des canaux et des connexions, des zones d’échange et de régulation.

Un imaginaire pour notre temps?
Jonathan se situe dans la génération des enfants du compost, dans les déchets du monde issu du rêve prométhéen qui a dégénéré et fourvoyé les imaginaires ; le mal est fait, il est bien là, et c’est au plus vif du désastre qu’il faut chercher l’astre de lumière et l’ange de l’avenir.
La technique a pollué la culture des fraises ou des tomates, mais dans les laboratoires se prépare une autre technique, biomimétique, qui imite la nature et tente de faire mieux qu’elle. Les quatre tableaux de « il y aura toujours des tomates » en donne le viatique, l’image porteuse et prophétique, tout comme « le fond de l’air est encore chaud ». L’artiste n’a pas à planter, à cultiver la terre, produire de l’énergie. Il ensemence notre imaginaire, y fait pousser des fleurs comme « la fleur bleue » du romantisme », des arbres toujours distributifs et paradisiaques, mais loin de nos arbres de la connaissance, des organes qui respirent, des coraux sauvés par les humains, et bien d’autres choses qui rendent passionnante la découverte des œuvres de Jonathan Bablon, de leur biomimétisme, de leur tropisme vers des formes de vie régénérée.

HCE Galerie septembre 2022

 « Etonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait » (Victor Hugo, les Misérables)

Le contexte actuel de notre rapport à la nature suscite l’effroi : le réchauffement climatique et son cortège de catastrophes, la déforestation à grande échelle, les pollutions en chaînes, la disparition et l’extinction des espèces, l’annonce quotidienne de nouveaux saccages de la nature, tout annonce que l’alliance mythique aux voix de la nature se perd de manière irréversible et inéluctable. Plus grave encore, cette crise écologique s’associe à une crise de la sensibilité, coupée de la nature, devenue étrangère à elle, indifférente, que ne peuvent masquer les quelques émois qui subsistent devant le spectacle de la nature et la rhétorique publicitaire des quelques « gestes pour la planète »

Jonathan Bablon est parfaitement engagé dans ce climat de trouble et la nécessité de faire « avec ». Appartenant à la « génération du compost », il baigne dans la déchéance du monde et des idées qui ont conduit à sa perte. L’artiste se pose en faisant un pas de côté, un écart plein d’humour entre une indifférence stérile et un catastrophisme déresponsabilisant.

Pépin frais est une installation composée d’une grosse branche ramassée en forêt, recouverte de mousse, soutenue en équilibre par des béquilles, et parcourue par un réseau de tuyaux et un système de brumisation d’eau de pluie qui à intervalles réguliers alimente la mousse et la maintient en vie. En sortent des branches plus petites, qui cherchent notre regard en tendant comme sur un plateau des fruits que l’on croit reconnaitre mais dont l’intérieur révèle une carnation, des pépins, des fluides juteux, une matière complexe et sophistiquée. Des fruits dont la céramique exacerbe formes et couleurs. L’exploration de l’ensemble se termine par un cadre vide d’épis de maïs, un miroir que l’œuvre semble se tendre à elle-même, s’y rassembler et s’y interroger, nous remplir de perplexité. La mousse gonflée et épaisse suggère une encolure d’animal. En proximité avec le mot « pépin » surgit l’idée d’une pépinière singulière ; la machinerie du système de brumisation tend plutôt vers un dispositif médical de réanimation, de transfusion.

Le secret de l’installation semble bien résider dans la mousse, ce végétal tellement omniprésent qu’il jouit de peu de considération tout en se répandant en forêts extravagantes, minuscules, et une infinité de variétés. C’est la plante dans son état le plus primitif qui recouvre la terre quand les eaux se sont retirées, se lançant dans cette folle aventure en ignorant la racine, la tige et la fleur, une pionnière de la vie sur la terre ferme. Elle réussit presque à se rendre immortelle, n’ayant besoin que d’un peu d’eau et de lumière pour se régénérer et se reproduire. L’installation restitue ce formidable accélérateur de vie qu’est la mousse : quelques gouttes d’eau de pluie brumisée, et ses filaments se gonflent de singulières turgescences, et les sporogones, ces soies fragiles portant de légères capsules s’ouvrent en rosettes étoilées, diffusant un flux de fécondité. L’analogie se déploie tout naturellement vers ces fruits ultra-terrestres portés au bout des branches, contaminés par cet intense courant de vitalité, complètement régénérés.

L’énigme de l’œuvre se résout dans la tension de ses éléments vitaux : cette machinerie pouvait passer au départ pour un canular de science- fiction, mais avec toutes les références, souvent très érudites, on s’avise qu’il y va bien de notre monde, qu’on s’y reconnait de manière plus pertinente, plus lumineuse, plus intelligible que dans les coordonnées du bon sens et de la tradition, que son esthétique révèle une vie plus vivable, un monde plus habitable. Un concept correspond à cette machinerie, il a vu le jour dans le cadre de la science-fiction, où l’on se proposait de recréer dans un autre monde, une autre planète ou installation spatiale, les conditions de vie à la surface de la terre : c’est la « terraformation »

Les œuvres de Jonathan Bablon rassemblées dans cette exposition peuvent être envisagées comme des entreprises de terraformation, alimentées par les confrontations les plus réussies de l’homme et de la nature, leurs échanges réciproques, et l’extraordinaire porosité entre le vivant et la technologie. C’est comme un cabinet de curiosité rempli de cartes, de schémas, d’organigrammes et aussi d’objets consacrés à cette vie nouvelle parce que sans cesse régénérée, à son organisation dans l’espace et aussi sa diffusion dans les idées et la pensée, un prélude à une encyclopédie de la création sans cesse recontinuée du monde. Où chacun peut trouver un chemin de visite, d’interprétation entre le réel et le fictif. Dans toutes ses représentations je retrouve la peau et un certain rapport à elle : il y en a une très belle représentation (sur un ensemble de 4), un diagramme sagittal de l’ingéniosité de la peau, de sa porosité, de sa respiration et des échanges entretenus avec la profondeur du corps, une coupe dans l’intelligence de la peau que les portraits de la peinture classique font si bien affleurer ; le mot est là, la peau est une fleur. Ailleurs la peau est la membrane de l’échange, de la sélection, du tri, de la protection, elle étend considérablement sa surface en d’infinies circonvolutions ou villosités quand il faut faire circuler tout ce qui est nécessaire à la vie. La peau couvre et recouvre, c’est la matrice du vêtement et du revêtement, et cela concerne l’ensemble du monde. On le sait plus que jamais, la peau du monde est fragile et donc à ménager ;

Le monde sauve sa peau ! ce pourrait être le titre et le fil conducteur de cette exposition.

HCE Galerie 9 mai 2023

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