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Illuminations

Photographies de Saïdou Dicko


Illuminations 5 au 26 octobre 2019

vernissage samedi 5 octobre à partir de 17h

samedi 19 octobre à 17h
conversation sur l’ombre dans le travail de Saidou Dicko
à partir de la notion de “mode d’existence” (E.Souriau, B. Latour)
lectures poétiques: Ponge, Michaux

” comme, de ma fenêtre, je vois des spectres nouveaux roulant à travers l’épaisse et éternelle fumée de charbon, – notre ombre des bois, notre nuit d’été! – des Érinnyes nouvelles, devant mon cottage qui est ma patrie et tout mon coeur puisque tout ici ressemble à ceci – la Mort sans pleurs, notre active fille et servante, un Amour désespéré et un joli Crime piaulant dans la boue de la rue.” ( Rimbaud, Illuminations)


guide de l’exposition/ HCE Galerie

Extraordinaire destinée que celle de cet artiste qui dès sa première enfance dans le Sahel pénètre dans la peinture et éduque son regard en observant les jeux de l’ombre et de la lumière, en suivant les ombres portées sur le sol par les bœufs, les chèvres et les moutons qu’il menait paître des journées entières. Ses premières peintures, dont quelques-unes sont exposées dans la galerie, gardent la touche du berger et du voleur d’ombres : elles portent la trace de l’attention passionnée à des bêtes au style singulier qui s’esquissent, surgissent et se fondent dans le paysage. La peinture est comme le relevé de sa vie, elle se présente parfois comme l’étoffe traditionnelle où serait tissée son expérience.

Les photographies exposées sont une exploration méditative des propriétés de l’ombre, ou mieux sur ce qu’elle a « en propre » par rapport à la chose, de ses dimensions qui se sont progressivement affirmées et condensées dans le vécu de l’artiste :

La silhouette, la découpe de soi, l’expression ou le reflet, l’intime réplique, tout ce qui révèle d’autant plus qu’il réduit ;

l’étrange simulacre qui suscite des attitudes magiques et conjuratoires ;

mon ombre qui me suit partout, que je peux regarder sans l’appréhender, qui me nargue , m’ affole, « mon image me tient en son pouvoir » dit Maupassant ;

l’image dangereuse qui nous échappe, nous multiplie et nous met à nu ;

le double qui se redouble inlassablement sans s’épuiser, se propage et nous disperse, file entre nos doigts …

Une première série de photographies pénètre le secret des ombres et la lumière de la pénombre dans les maisons du Sahel. La finesse de la découpe, la délicatesse des contours de ces silhouettes d’enfants ouvrent sur la tendresse infinie d’un plan expressif qui pourrait être celui de la peinture : Une vie intense affleure dans les plis sombres des étoffes, dans les motifs des tapis, dans les reliefs des murs, les claires voies des volets…

Dans une autre série, qui pourrait être autant d’auto portraits de l’artiste, l’ombre se fait immense et démesurée dans les reflets de la mer et du ciel. Elle prolifère et se dissipe dans les éléments, fluide et légère comme l’air et l’eau, veinée comme le marbre, parcourue d’étranges végétations, elle s’élance dans l’univers mythologique des Géants et des Atlantes. Elle oblige le regard à s’élever, à s’évaporer.

Dans une troisième série, nommée égouts, l’artiste expérimente les grilles d’égouts comme autant de pièges à lumière et à images, et aussi comme des écrans où se projette son regard, jouant sur le sens de la grille comme « regard » pour observer l’état des égouts. Il y a toujours l’ombre ou le reflet de l’artiste au fond du trou, retenue dans une image transparente, qui se fait transparente en révélant les strates qui composent son opacité. C ‘est plutôt une plongée vers le bas, l’appel des profondeurs

L’attention que porte le photographe aux choses, et même aux moindres choses, le mégot de cigarette, la feuille morte est fascinante, mais rend très imparfaitement compte de l’émerveillement que l’on peut ressentir devant ce travail. Il ne fixe pas seulement des ombres et des reflets, mais ce qui se met à vivre dans ces ombres et par elles, leur manière d’être et de surgir dans le visible, de disparaitre tout aussi bien, le tour ou la tournure que prend la vie dans les choses quand elles deviennent des images. Bruno Latour vient de remettre en lumière ce concept de « mode d’existence » qui donne une assise rationnelle au travail des poètes, Francis Ponge ou Henri Michaux, qui ont déplacé l’attention à l’existence vers l’attention aux modalités d’existence des choses et des êtres vivants, et à cette formule de la phénoménologie « Partout autour de nous la vie bruit en s’explorant elle-même ».L’eau qui coule dans les poèmes de Ponge a son style « la gravité », une formule et même une obsession « toujours plus bas ».L’exploration des égouts chez Saïdou suit cette même impulsion, comme un élan obstiné : traquer l’image de soi au plus profond, une fois que l’on a soulevé la trappe en déclenchant l’appareil, explorer le grand trou métaphysique qui hante l’existence. Le spectateur s’interroge sur « comment c’est fait » mais comprend l’essentiel en se baissant au plus près, en s’inclinant avec la peur de tomber dans le trou. Il rencontre les mégots, dans la vie ordinaire un résidu jeté négligemment par les fumeurs, mais sur l’image le parangon de « la moindre des choses » auquel Ponge accorde un élan vers la vie, un mode d’existence. « Allons cherchez moi quelque chose de plus révolutionnaire qu’un objet, une meilleure bombe que ce mégot…cherchez moi un meilleur mouvement d’horlogerie pour faire éclater cette bombe que le sien propre, celui qui à vrai dire ne le fait pas éclater mais au contraire le maintient… permet à chaque objet de poursuivre en dehors de nous son existence particulière, de résister à l’esprit… »

Dans le regard du photographe la découpe très nette des silhouettes invite à d’autres découpes dans le sensible, celles qui délimitent des reliefs dans les reflets : quel dialogue se profile dans la confrontation entre l’ombre d’un petit garçon et les immenses balles de charbon de bois ? Quelle magie éveillent dans le linge en train de sécher ces mains de prestidigitateur ? quel espace s’ouvre devant cette main qui écarte un pan de rideau ? C’est toute la vie quotidienne qui se met à exister comme un théâtre d’ombres avec le dessein de maintenir le secret de puissances, de tours et de détours, de manières que prend la vie, comme « la tendresse du monde, « l’enfance de l’art » ou, quand il est question des géants, « la foudre gouverne toutes choses »

Les ombres se répartissent très naturellement en séries selon leur mode d’existence ou leur manière de vivre à la surface de la photographie : une manière d’être n’est pas une particularité, elle se reproduit, se répète en variant, elle est susceptible d’être copiée et peut aussi disparaître. Elle nourrit le regard de légèreté et de tendresse pour le monde.

Sur toutes ces ombres, une ombre souveraine, celle de l’artiste.


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