Vivian Scheihing

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À VENIR


À VENIR

 


Vivian SCHEIHING et Sylvia PLATH: Peinture et poésie

Years. La touche de l’âme

Sylvia Plath écrit Years le 16 novembre 1962 dans un état de grande détresse, trois mois avant sa mort tragique.Toutes ses années passées lui reviennent comme autant d’animaux échappés d’une forêt de houx dans l’espace cosmique .Elles en conservent les piquants en chutant sur terre telles des météorites.C’est l’occasion pour elle de dire en quelques images vertigineuses sa haine de tout ce qui est arrêté, Dieu et le Ciel vide ,et son amour du mouvement qui l’emporte, des pistons de ce moteur à explosion qu’elle porte en elle pour écrire à un rythme d’enfer,des sabots des chevaux qui l’entraînent dans un « galop infatigable »…Une vision rétrospective des années passées peu banale, une sorte de charge des walkyries, la charge des années passées et de l’année à venir, pleine de menaces…

Sylvia Plath fait face à sa vie passée et à ce qui l’attend dans le futur, elle se plonge dans ce qui lui traverse le corps depuis le plus lointain : voilà ce qui m’affecte et que j’absorbe, sans que je puisse le penser ou le percevoir.

Voilà aussi à quoi Vivian donne un « visage en gros plan », une réponse sensible à cette invasion d’images qui viennent du plus lointain de sa mémoire, qui la traversent et qui l’ont toujours traversée.Elles les laisse s’assembler, se configurer, se structurer…

Elle-même s’est retirée de « l’incalculable méchanceté du quotidien » et du monde dans son ensemble, dans une ascèse de pure présence à soi, dans un état de l’âme très singulier, avec un esprit qui ne fait que s’attarder sur soi, sans penser, percevoir ou imaginer (inutile de chercher un monde pensé, perçu ou même imaginé dans cette œuvre !) hors des intrigues et repères de l’espace et du temps.Exprimer l’âme affectée, l’âme touchée, l’âme qui répond par sa propre « touche », tel nous paraît être l’enjeu de cette série.

D’abord des couleurs, ses couleurs qui se concentrent en premier : Du rouge absolu, comme des tâches de sang ou des soleils couchants, du rouge vital

Du noir de l’encre de chine, du noir total, à l’état pur qu’aucune lumière ne pénètre, mais qui a sa luminosité propre, la lumière des trous noirs

Du gris de l’aube, qui ne s’est pas encore décidé entre l’obscurité et la lumière, qui ne veut pas couper, trancher, mais seulement nimber, estomper, ombrer, réservé aux esquisses, aux silhouettes…

De l’argent très vif, des surfaces de miroir réfléchissant, réfléchissant souvent les autres couleurs « je suis un jardin d’agonies noires et rouges.Je les bois… l’hiver m’emplit l’âme… »

De l’ocre pour les fonds, la matière d’un sol originaire pour ces plantes de l’âme et cette végétation qui ne végète qu’en elle

Du bleu très profond, rival et complice du noir, couleur du lointain et du rayon lunaire qui glace les rêves, omniprésent dans la poésie de Sylvia sous forme de l’indigo glacé

Et de l’or, l’or des icônes et de l’aura

Ensuite des formes : qui se coulent nécessairement dans les formes élémentaires de Vivian, celles qu’elle utilise le plus souvent, en nombre restreint.Encore une fois il s’agit de ses formes.

Des formes organiques rondes, des boules aux piquants acérés inspirées de Sylvia Plath

Des formes végétales en nombre limité : des arbres, des feuilles, des lianes, des algues, des calices ou des corolles avec parfois des attributs sexuels

Des figures géométriques aux angles droits qui interfèrent avec les courbes, des ouvertures sur le dedans et le dehors

Les échelles sont toujours là…pour rappeler la verticale, l’élévation, les passages.Elles deviennent végétales, aériennes

Ces formes se sont chargées de sens dans les peintures précédentes, et dans les échanges entre peinture et poésie.Dans Years, elles ont tendance à s’épurer, à se dépouiller et à glisser vers le signe, vers l’écriture, à composer des hiéroglyphes ou des idéogrammes : la feuille s’allonge, se réduit à son limbe, puis à ses nervures, et finalement à une ligne serpentine, une ondulation qui peut traduire la courbe d’un corps de femme…Plus elles s’épurent , et plus ces formes se chargent des significations acquises dans les différentes sédimentations .

Enfin des mouvements

Ce sont les mouvements qui structurent le tableau. Ils sont caractérisés par l’emportement, l’arrachement à soi, la vitalité créatrice évoquée par le poème de Sylvia Plath

Des mouvements d’approndissement en direction du sol, prendre racine, aller au fond des choses, aspirer…

Et des mouvements d’élévation, avec dans les deux cas des mouvements d’ouverture, des rythmes de pénétration.

Vivian peint des séries, ici une série de 38 dessins, parce qu’elle a isolé dans le poème de Sylvia Plath 38 mots ou groupes de mots

Avec une unité dans les couleurs, les formes et les mouvements, c’est-à-dire toute sa palette expressive

Avec aussi une unité dans les formats, des 18 x 24, qui rappellent des cahiers d’écolier, avec du papier superbe, épais comme du buvard pour absorber les douleurs extrêmes.

Mais surtout parce qu’il faut de l’obstination, de l’entêtement pour exprimer ce qui affecte et atteint sans être jamais atteint.

Les images de l’enfance sont lourdes et obsédantes, elles cherchent leur voie dans les tourbillons de la vie et de la mort.

Et puis il y a ce moment unique, soudain, où toute cette matière affective, cette chair végétative « prend », s’arrête sur un « gros plan » :dans le fouillis de ses arbres ,de ses branches et de ses feuilles,dans le buissonnement de cette vie végétative le pinceau fait surgir un creux qui abrite les désirs, qui accueille les élans du corps et les fêtes de l’âme.Les masses menaçantes, les formes agressives semblent se neutraliser dans une composition apaisée, s’apprivoiser, s’équilibrer.

Regarder un dessin ve Vivian, c’est un peu comme marcher dans une forêt où le sous bois est de plus en plus serré, intense, dans un enchevêtrement tel que l’on pressent l’arrivée dans un lieu qui n’a ni dedans, ni dehors, un lieu pour éprouver le seul frémissemnt de la forêt, le rythme de sa vie méditative, sa pulsation secrète. Il faut marcher, écarter les obstacles… et soudain on trouve ce qui était préssenti, et on sait alors que l’artiste a longtemps attendu ce moment unique où sa composition se délivre dans un « état d’âme » c’est-à-dire un état de son âme, son âme littéralement touchée.Ce qui affecte est démesuré, disproportionné par rapport à la réceptivité d’une âme, mais dans l’ascèse de l’attente et de la maturation de l’œuvre, l’artiste trouve le bonheur d’une expression proportionnée à cette démesure.Une expression qui assure le triomphe de l’énergie créatrice face à l’abîme, qui distille toute la légèreté et même la gaité prise dans cette matière sombre et tragique.Juste ce qu’il faut de fantaisie pour rester à la hauteur du « plus grand que soi ! »

La lecture de Sylvia Plath donne à chacune de ces compositions une tonalité affective particulière, des inflexions douloureuses et apaisées : ce sont les mêmes cordes qui vibrent dans le poème et le dessin.

HCE Galerie fév 2014