Sylvie Pohin

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Sylvie Pohin-Molinaro a d’abord exploré professionnellement les ressources de l’image fixe et mobile dans la direction artistique et la gestion de productions audiovisuelles, de médiations culturelles de grande envergure, comme la cité des vins à Bordeaux, ou l’histoire du canal du midi… Le numérique rend possible la gigantesque reconstitution de mondes passés et crée une attitude immersive sans précédent : le spectateur n’a qu’à se laisser guider par les indicateurs de surface pour revivre de l’intérieur l’événement reconfiguré dans un monde virtuel.

La technicienne des images est aussi une artiste qui s’exprime dans tous les registres de l’art, le dessin, la peinture, la photographie, le livre peint ou la vidéo, dont elle répercute les effets jusqu’à l’envoûtement dans ses création numériques et ses avatars d’un réalisme troublant. Persuadée par sa longue expérience du numérique que la gestion des pixels peut rivaliser avec le travail des pigments, elle va au-delà de la peinture, de la photographie dans la traque de l’infini et la révélation des réalités virtuelles latentes dans notre monde.

L’exploration des présences invisibles, des fluences occultes dans les objets du ciel ou de la nature obéit à des protocoles expérimentaux rigoureux quant à la mise en image : les objets en suspension dans le ciel sont dessinés, numérisés, mis en mouvement ; les transformations, les passages du pigment au pixel sont enregistrés, distillés, concentrés dans l’élaboration d’une matière picturale qui donne une approche de la matière céleste coulée dans l’au-delà du monde, l’airain ou l’éther des théories scientifiques. Cette matière ou énergie cosmique se retrouve dans le travail sur les productions de la nature, elle se densifie dans la terre et les roches, devient vaporeuse dans les feuillages et leurs jeux avec l’atmosphère. Tout ce travail de haute spéculation est mis en œuvre avec la même rigueur dans un travail de conversion entre photographie et dessin, entre dessin et lithographie, entre photographie et vidéo.

Fixes ou mobiles, les images de Sylvie Pohin-Molinaro délimitent dans la nature des zones sensibles, des nappes d’un espace-temps bien à elle. Leurs émanations, tous les flux issus des vibrations et frictions dans le jeu des éléments essaiment vers nous de manière virale, comme du pollen.

Trajectoires de Sylvie Pohin. Métamorphoses et incarnations des pierres tombées du ciel.
Du pigment au pixel

Accrochés très haut, les tableaux semblent tomber du ciel comme une pluie de météorites. C’est tout l’espace de l’infini cosmique qui nous arrive, depuis des myriades de corps célestes arrachés aux conflagrations de l’univers, de poussières d’étoiles éclatées, de gigantesques tourbillons. Cette matière des sidérants lointains de l’espace et du temps est inédite et nouvelle, inconnue dans notre croûte terrestre, elle défie toute idée de production, d’engendrement, et même si elle est constituée des mêmes atomes ou particules que les nôtres, elle semble bien être coulée dans l’au delà du monde.

Sylvie Pohin travaille à plat et la matière picturale qu’elle applique avec d’impétueux mouvements de brosse semble bien choir de haut sur le papier, à l’image de cette matière céleste venue des étoiles. Elle s’y étend sans que s’éteignent ses rayonnements, ses attracteurs, ses forces gravitationnelles, elle se distend, se condense et s’absorbe dans les fibres du papier. Les liserés noirs, vestiges des combustions dans l’atmosphère, ouvrent l’espace à l’épanchement, au glissement et l’invagination de courants affolés .Ce flux de peinture et de pigments cherche sa mesure terrestre et un plan d’apaisement.

Et puis elle sèche et révèle les surprises de la décantation, laissant apparaître des cristallisations, des concrétions déposées, sédimentées en fines couches que le glacis n’a plus qu’à homogénéiser, les vestiges des paysages traversés aux confins du monde connu. La déclinaison des atomes, les étendues froides dans le parage des comètes, les tourbillons et les grands vents interstellaires, les mirages dans les déserts, l’incandescence des nébuleuses, tous les aérolithes mentaux qui traversent la tête quand elle est dans les étoiles. Cette peinture se regarde de loin, elle nous donne une autre mesure du monde, et aussi de très près, tellement l’infini et la démesure du monde s’y font proches

Ces cailloux venus du ciel poursuivent leur odyssée d’être pierre et leur « incarnation » dans l’espace de l’exposition. La vidéo et le savant travail des modélisateurs numériques les transforment littéralement en « corps célestes », avec des formes, des volumes et des mouvements, mais surtout une peau, bien « mappée » autour de la pierre, une surface qui enregistre tout ce qui peut affecter ces corps dans leur espace ; les cavités, les impacts, Les heurts et les chocs laissent des cratères qui sont aussi des cicatrices, des fractures, des amputations, des excroissances. La création numérique prend le relai du geste pour approcher les inconcevables affects des corps en mouvement dans l’espace : la façon qu’ont les astéroïdes de se choquer dans leur ceinture, le caprice inouï qui les pousse à sortir de leur trajectoire pour menacer la course bien réglée des planète sur leur orbite, leurs étranges mouvement d’attraction et de répulsion dans l’espace, leurs affinités électives…Tout l’art que la peinture classique a mis dans la traduction des signes déposés à fleur de peau sur un visage doit aujourd’hui trouver son équivalent dans l’art numérique : la gestion des pixels, les jeux de l’ombre et de la lumière, la netteté ou l’estompé des contrastes débouchent sur la création d’une réalité virtuelle, d’un tout en devenir, celui de l’intimité minérale du cœur de pierre ou de la peau des pierres…Avec une patience infinie et une exigence incroyable d’hyperréalisme Sylvie Pohin donne à ses « graves » la surface transparente d’une peau quasi photographique, un équivalent du glacis de la peinture classique. Ses roches en deviennent émouvantes, à force de se faire miroir et métaphore du cours inéluctable des choses, de tout ce qui nous atteint et nous affecte.

Les estampes numériques prolongent ce travail de métamorphose et d’incarnation des astéroïdes en les intégrant dans l’étoffe du sensible et des territoires de pensée, ne serait-ce qu’ en leur donnant un nom-Phaéton, Sisyphe, Hypnos, Jason…-qui les fait graviter dans les différents patrimoines de l’humanité, les grands récits mythologiques où les humains ont depuis la nuit des temps projeté leurs peurs et aspirations. Dans ces pierres ressaisies par la création numérique se rejoue le rapport de la matière à l’âme, du minéral et du vivant, la menace constante de se retrouver pétrifié dans son existence. Les pierres du ciel, de même que les pierres terrestres sont tourmentées comme la chair.

Ainsi en est –il de ce « Jason » : Ainsi nommé l’astéroïde fait dialoguer la préhistoire, la cosmologie, la mythologie, la minéralogie …dans le vertige de l’infini. Des esquisses de peintures rupestres voisinent avec des végétations de corail .Des dendrites dessinent d’étranges arborescences ; Des torses de héros semblent sortir de carrières ou des fonds marins. Des zones métalliques évoquent les nerfs d’acier et le moral de fer de tous ces Argonautes qui avec Jason partirent à la conquête de la Toison d’Or, affrontant des écueils invraisemblables comme ces rochers vivants qui s’ouvrent et se referment sur les navires qui s’y aventurent, Les Symplégades. Jason les franchit en suivant une colombe magique qui s’y faufile ! Ne serait ce pas cet oiseau noir qui émerge plusieurs fois de la roche ? Et toutes ces pierres qui constituent ce Jason semblent bien s’être refermées définitivement sur elles mêmes comme le firent les Symplégades après le passage du héros. Jason a traversé des espaces sidéraux dont il porte les empreintes mais aussi des espaces de légendes, au sens propre du terme, des espaces à lire. « L’univers c’est un livre et des yeux qui le lisent » disait Victor Hugo. Jason est lesté de ce pouvoir visionnaire, sa « matière »porte une extraordinaire « richesse phénoménale »mais aussi des virtualités indéfinies que la création numérique « actualise » avec le plus grand souci d’authenticité.

HCE Galerie/ Georges Quidet