Eizo Sakata

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Né au japon en 1954, Eizo Sakata reçoit d’abord une formation mathématique et scientifique à l’Université de Tokyo et devient ingénieur. Il abandonne très vite cette fonction pour revenir à sa passion première pour l’art et la création, et dès son arrivée à Paris en 1983 il est dans l’esprit de l’art contemporain, à la recherche d’autres scénarios artistiques possibles. Le domaine du Land Art se prête à merveille à son esthétique de la nature, à son imprégnation dans le milieu naturel et culturel du Japon et à son tropisme écologique, à son esprit scientifique qui guide sa démarche esthétique, un sens de l’observation et de l’exploration par immersion dans un milieu naturel et humain. C ‘est donc tout naturellement qu’il y a trouvé son terrain d’expérience et de création, les oeuvres de la nature, et sa position d’artiste entre tradition japonaise et tradition occidentale, atteindre la limite de l’effacement du sujet dans la création, de l’œuvre elle-même ramassée en quelques traces ou vestiges d’une illumination éphémère, qui continue à se signifier en tant qu’œuvre d’art dans l’approximation du rien.

L’oeuvre porte la révélation d’un jeu de la nature avec l’air, la lumière, l’eau et les profondeurs de la terre, le mystère des puits artésiens de la butte aux cailles à Paris, des créations de mousse dans les forêts de l’hexagone. L’eau est une alliée fidèle, partout elle est à la recherche de son niveau, du plan où elle réfléchit le réel et les secrets de ses sources et de l’humidité latente en toutes choses; elle porte et maintient en suspension toutes les substances solubles, elle organise de fulgurantes rencontres à sa surface, des agencements subtils adressés à l’artiste disposé à les comprendre : l’homme avisé aime l’eau parce qu’il a une intelligence fluide et souple comme l’eau. In Situ, sur le lieu même de la révélation, l’artiste reconstitue l’environnement qui l’a produite, un agencement très conscient et maîtrisé de signes fléchés, morceaux de bois, vestiges de la nature, un univers où il n’y a pas « des objets », mais « de l’objet », tout ce qui est de nature à susciter un effet de présence silencieuse et mystérieuse. Ce qui subsiste de la révélation éphémère une fois qu’elle s’est disséminée, éparpillée en quelques vestiges en laissant les traces de son pas, de son passage. C’est cette démarche de création que Eizo décrit dans un livre publié en 2007, « Passivité active, démarche de création in-situ », un livre que l’on peut savourer à la lumière du « Nagori », le terme japonais qui évoque les vestiges laissés par les vagues, et -pourquoi pas- du livre du même nom de Ryoko Sikiguchi.

Les dessins réalisés en atelier, dessins à l’eau de pluie et à l’eau de mer, sont de même les produits d’une démarche poétique étayée sur des protocoles expérimentaux rigoureux. C’est tout un art du silence et de l’attente qui s’y développe, une observation fine des réactions de l’eau de mer et de l’encre de Chine sur le papier, des interventions infimes et délicates pour s’ajuster au hasard, une immersion totale dans un processus, jusqu’à ce que la cristallisation se fasse, que l’esprit du sel s’incarne littéralement sur le papier. Depuis la catastrophe de Fukushima Eizo Sakata expérimente en artiste un autre rapport au monde, soucieux de prévenir les blessures écologiques de notre planète et de révéler la beauté et le pouvoir expressif des éléments qui la constituent, les végétaux, l’eau de pluie, le sel

Suivre scrupuleusement le cours pris par les jeux de la nature, saisir avec grâce les éclats qui en résultent, une telle démarche est nécessairement enjouée, ponctuée par les éclats de rire qui émaillent les jeux avec la nature, quand l’artiste en devient le compagnon de jeu et qu’il s’en cherche d’autres, tout aussi pertinents et impertinents que lui. « Inébranlable est ma profondeur mais elle brille d’énigmes et d’éclats de rire ». Le rire d’Eizo est bien connu, il accompagne la surprise de la création, le plaisir d’avoir trouvé la pépite rare, juste l’installation adéquate pour retenir quelques instants une révélation, mais aussi d’avoir joué un joli tour aux conventions et poncifs de la représentation, de s’être joué à son tour de la nature qui se joue de nous. Le rire est chez Nietzsche révélateur de la qualité de l’esprit : il faudrait trouver le terme pour cerner celui d’Eizo, qui en fait un artiste si singulier, celui qui affirme son « oui » à la création !

HCE Galerie, mai 2020


EXPOSITIONS PERSONNELLES RECENTES

2022 Exposition (oct.) Formes Gallery, Ginza, Tokyo, Japon

2021 Exposition (juillet-sep.) à la suite de la Résidence à la Maison Dora Maar à Ménérbes (Provence)

2020 « Dessin à l’eau de mer » Galerie Kamila Regent, Saignon en Lubéron (Provence)

2019 « Dessin à l’eau de mer » Formes Gallery, Ginza, Tokyo, Japon

Exposition Duo avec Nicole Davy , Quai Malaquais

2018 « Dessin à l’eau de mer » L-gallery. Nagoya (Aichi), Japon

Exposition Duo avec Françoise Pétrovitch, Galerie Kamila Regent, Saignon en Lubéron (Provence)

Exposition Duo avec Katayoun Rouhi, HCE Studio Galerie, Saint Denis

2016 « Aujourd’hui le monde est né» Conservatoire Municipale de Gangny

2015 « Dessin à l’eau de mer » L-gallery. Nagoya (Aichi), Japon

2014 Exposition duo avec Séo (une artiste coréenne) à la Galerie 89, Paris

2012 « Année Sabbatique » L-gallery. Nagoya (Aichi), Japon

« Dessin » Galerie Kamila Regent, Saignon en Lubéron

2011 « Comment jouer avec la nature ? » Casa de los Titeres à Abizanda (Aragon, Espagne)

2010 « Un reposoir à la caresse des ombres – dessin du sel » Galerie LAHUNE, Paris

MANIFESTATIONS COLLECTIVES RECENTES

2021 « D’un point … l’autre » La Tanneries, Houdan (Yvelines)

« Hybridation » Le 100 Établissement Culturel Solidaire, Paris 2020 « FRAGILITÉS » La Ruche, Paris

2019 « Après Fukushima » à l’Espace Bertin Poirée, Paris Summer Group Show à Pierre-Yves Caër Gallery, Paris

Convergence autour de Krasno, à La Tannerie, Houdan (Yvelines)

2018 « Corps Céleste » HCE Studio Galerie, Saint-Denis

« Icare » Maison Vaillant – Orangerie , Verrières le Buisson 2016 « Sentiers des Arts » Charente-Maritime

« Don Quichotte » Galerie Vinci, Paris

2015 « Alice aux Petits Ménages » Espace Saint-Sauveur, Issy-les-Moulineaux

« Transversale B » Barclay’s (Agence George V, Victor Hugo), Paris 2013 « Nuit Blanche Amiens »

« Vents d’Anges » , Atelier Polska, Paris 2012 « Art Bosphorus » Istanbul (Turquie)

2011 « Résidence hito – tourisme créatif dans les Pyrénées» (Aragon, Espagne)*

« Matières à dire » Pléneuf-Val-André (Bretagne)

2010 « Out of Space» Nature Reserve De Rottige Meente (Pays-Bas)

« Erzurum Painting Symposium» Erzurim (Turquie)

« L’Art en passant» la Souterraine (Creuse)

« Parcours Croisés» Cambremer (Eure)

« Geumgang Nature Art Biennale » (Geumgang, Corée) 2009 « Parcours des Fées » (Hautes-Alpes)

« Chemin d’Art » Saint-Flour (Cantal)

« I-Park Environnemental Art Festival » (Connecticut, E.U.)

PUBLICATION

Livre « Passivité Active » (Fûdo Editions), Livre « La mer vient à moi » (Edition L)

Livre « La mer vient à moi » (Edition L)


Aimez vous la pluie ?

Dans son optique de « passivité active » Eizo capte et enregistre ce qui peut être prenant et surprenant dans les phénomènes naturels, la forme de présence et de beauté qui s’y dévoile avec une telle force et en même temps une telle discrétion qu’il en devient le complice émerveillé.

La pluie tombe du ciel sur une terre qui l’attend. C’est un peu la rencontre du ciel et de la terre. Les gouttes de pluie rassemblent tous les transferts qui ont lieu entre Terre et Ciel, et l’ésotérisme va jusqu’à proposer « Dieu envoie un ange avec chaque goutte de pluie ».De manière plus prosaïque Eizo emporte depuis quelques années partout où il va son kit pour enregistrer, relever cette rencontre : un carré, des pigments où la pluie va laisser ses empreintes, faire œuvre. Des tableaux de pluie donc, faits par la pluie, auxquels il ajoute la photo satellite de Meteosat qui donne le contexte météorologique du jour et de l’heure. L’artiste fait le « relevé » et laisse à la nature le soin d’assurer la « relève » de l’art. Il lui appartient de se rendre disponible, de s’imprégner de la situation offerte par l’attente de la pluie, d’en saisir le potentiel et de l’infléchir progressivement selon « la pente de la rêverie » qui est la sienne. L’eau ne cesse d’ondoyer et de s’écouler le long de lignes poétiques, elle est le mouvement même de l’émotion, son bruissement s’insinue à fleur de peau.

En tombant la pluie laisse sur les pigments des éclats irisés de lumière, des étoiles, comme si elle se souvenait du ciel et voulait le reconstituer sur terre. Ce que fait très bien le tableau dont le bleu intense ménage une fenêtre ouverte sur le ciel et l’infini cosmique des constellations. Le jeu des subtiles réverbérations sur les minuscules granulations fait passer un mouvement à la surface, des frémissements de pétales, des vibrations de cellules ou de méduses dans un monde évoquant d’autres infinis, ceux de fonds marins ou de visions au microscope.

Chaque tableau de la série renouvelle l’expérience de la collecte de ces éclats, vestiges d’une présence tellement éclatante qu’elle ne peut apparaître qu’en se perdant dans ses éclats, dans les variations de ses éclats. De cette présence qui se donne ainsi, on ne peut rien dire, sinon qu’elle comble le désir de peindre de l’artiste, qui peut alors se retirer, s’éclipser derrière la manifestation de cette grâce inexprimable et la présentation de l’impossible.

Eizo est un artiste malicieux, trop heureux de cette trouvaille pour se préoccuper des arrière- mondes, de métaphysique ou même de symbolisme: c’est bien un don du ciel qu’il recueille avec un humour dont il a le secret, qu’il a cueilli comme une fleur du destin, la grâce diffuse dans un espace temps favorable dont il a saisi le potentiel, les ressources et la source du plaisir, qui se laissent piéger sur la toile livrée à la pluie en toute légèreté avec cet « éclat du rire » bien à lui, qui semble se diffuser en surface par touches, par éclats, par infimes secousses. Surtout ne pas en faire trop, ne pas charger et surcharger, gâcher cette présentation de la grâce du moment présent, de ce qui vient à lui de manière presque naïve, avec ce quelque chose de l’enfance. Cette grâce n’habite pas les hauteurs du sublime et les profondeurs insondables, mais elle n’a rien de puéril ou de niais, elle est touchante dans l’éparpillement de ses touches. Elle est à la limite de l’art, une vibration puissante et douce, exigeante et continue qui passe à son rythme avec son cortège de rimes tout au long de cette série, « les tableaux de pluie »

HCE Galerie / G Quidet


Eizo Sakata
Robes de Mer Morte

…et soudain la preuve que la langue erre et se leurre, jamais ne se rattrape, comme en un songe inquiétant, tarde infiniment à rejoindre plus qu’une idée, plus même qu’une pensée, cette haute vague ourlée de la menace de n’être jamais dite. Tant de robes exposées, là en viande, là-bas en barbelé, ailleurs encore pour l’industrie du luxe. Certaines, Ô combien belles pourtant, troublantes. Ici, dans la précieuse galerie d’art contemporain HCE de Saint-Denis, tenue par Georges Quidet et Jeanick Suzanne, pour notre première fois la robe est là de disparaître. C’est encore autre chose que « l’absente de tout bouquet » du poète Mallarmé, « hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour », l’un des rares à avoir si fort célébré le deuil perpétuel de la parole. Qu’est-ce alors ? C’est au-delà du langage – une fusion spectrale avec ce qui se meut dans l’invisible, à la condition d’être en chacune de ses fibres organiquement lié aux possibles du vivant. La robe d’Eizo dérobée – le jeu de mots est piètre (un appât provisoire) mais qu’y faire ? – revient à devenir son propre corps, son entité fuyante, son esprit, plus jamais nu ni dedans ni dehors, plus jamais vêtu ni dedans ni dehors, ainsi qu’une bouteille de Klein dont l’intérieur et l’extérieur fluent d’eux-mêmes en eux-mêmes, vertige en spirale qui renvoie aux principes archaïques, aux essences innommées, aux présences libres de tout concept, cette formidable invention de la raison prédatrice qui capte entre ses serres gainées de cuir.

Le corps décliné depuis une décennie jusqu’à la nausée par la noblesse de robe – celle dite vénale, du XVIIè siècle français – des financiers ou des poètes patentés, n’est pas même imaginé chez Eizo Sakata dont l’esprit, suffisamment formé à la science pour s’y être dissout et avoir rejoint en ses particules fines les circuits insoupçonnés de la vie, sympathise de toutes ses cordes avec les fantômes qui le visitent en transparence. Il y a une délicatesse courtoise, un profond respect de la vie, une joie enfantine à faire apparaître et disparaître en même temps les constellations de points qui dessinent ses robes, offertes aux quatre vents .

Certaines, les plus émouvantes à notre sens désorienté, sont nées d’une pluie de la mer morte – évitons, là, l’impudeur du jeu de mots –, de gouttes rapportées dans un flacon par des amis, saturées de sel et d’autres minéraux de telle sorte qu’inévaporables… Elles brillent des cristaux qui les hantent. Leurs yeux se jouent, espiègles, de notre vigilance, sur la surface blanche de la toile ou sur la vitre. Un degré de plus d’humidité, dans une cave ou après une averse, et la robe se dérobera dans son infini, puisque toujours elle sera là dans l’air qui l’a absorbée. On se rappelle cette bouleversante scène de Fellini Roma où les excavateurs du métropolitain découvrent que les fresques d’une maison romaine datant de 2000 ans sont bues par la soudaine arrivée de l’air. Cette tragédie de l’humaine condition, toujours à détruire pour se répandre, peut-être Eizo, qui connait ce film de Fellini mais est tout entier mu d’un animisme universel, en est-il la conscience fantomatique et salvatrice.

Eizo tente la disparition, la décomposition, la mort, leur tendant, en toute amitié, les pièges de ses illuminations : ainsi une robe ponctuée de fruits rouges sur un grillage et suspendue il y a vingt ans dans un jardin catalan, bientôt envahie par les mouches et quelque papillon, avant même que les oiseaux ne s’y ruent. La mort n’existe pas, fruit seul de notre panique. Elle est processus vivant, hors-temps, hors-champ, hors-là. C’est la langue qui nous a condamnés à trembler. Contre cette angoisse, le geste de recueillir quelques larmes de mer, d’en irriguer la surface vierge d’un espace magique, sensible à toutes les vibrations de tous les éléments, au moins quatre, ce geste nous accompagne aux côtés de notre ombre.

Eizo sakata demeure à Paris, dans un atelier qui est son laboratoire poétique où tintent sans doute diverses fioles de mer, sa prison intime d’où il ne cesse de sortir en ses œuvres virginales, lesquelles aident à davantage se tourner vers l’innocence invisible, nous encouragent à respirer, suspendu/es entre le devenir et l’inaccompli, dans l’interstice de la matière imminente. L’exposition dure jusqu’au 26 janvier 2018.

Tristan Felix

site Tristan Felix



Eizo Sakata sous le signe d’Orphée

La nature est pour Eizo une bonne compagne. Elle offre à son regard attentif des arrangements de formes, de couleurs et de matières qui sont déjà des œuvres d’art ;Elle satisfait son esprit expérimental et scientifique, en se prêtant à des opérations très claires, presque méthodiques qui transforment un environnement et en font surgir l’esprit et l’imprévisible, la poésie, en éclairent le pouvoir de création. Les mots de « secret » ou de « mystères » de la nature ne semblent pas appartenir à son esthétique nourrie de « land art ».

Et pourtant, au vu de ses somptueux dessins où le travail de l’encre et de l’eau de mer s’inscrit dans une esthétique graphique du noir et du blanc avec une singulière homogénéité, un glissement est possible vers une figure du romantisme de la nature, vers Novalis par exemple, ce grand poète allemand qui fut aussi géologue, ingénieur des mines et même responsable de salines( Eizo aurait aimé le rencontrer !) et n’a cessé de voir dans les formes de la nature des hiéroglyphes et des « signatures », des dessins, des configurations et des emblèmes qui ne demandent qu’à être perçus pour y découvrir « la clef des mystères ».Il cite les étranges figures de cette écriture chiffrée que l’on peut lire « sur les élytres et les coquilles d’œufs, dans les nuages, dans la neige, dans les cristaux et les pétrifications, dans les formes extérieures des plantes, des animaux, des hommes… ».Les formes naturelles qui retiennent l’attention d’Eizo, la coquille d’œuf ou les formes animales, constituent de telles « signatures » : la nature livre quelques secrets en se dérobant dans des visions cosmiques auxquelles l’encre de Chine et les cristaux de sel de l’eau de mer vont assurer une singulière prolifération

Alors que cette exposition était en cours de montage, Eizo guettait l’expression du sel dans un dessin d’œuf qui ne le satisfaisait pas. Quand le thème orphique lui tomba dans l’oreille, l’œuf prit la forme de la lyre d’Orphée et put laisser s’échapper comme une mélodie toutes les dimensions poétiques liées au mythe.

Ainsi posé dans la multitude de ses noirs éclatants l’œuf-lyre libère l’étrange cosmogonie qui reprend sa vie de légende. Le monde éclate à partir d’un œuf cosmique, fruit des amours de la Nuit et du Vent. Il contient toutes les potentialités du monde. Sitôt posé il se scinde entre la Terre et le Ciel, laissant surgir une divinité qui est comme la lumière primordiale une puissance de manifestation de l’intelligence et du désir, elle fait apparaitre le monde dans sa perfection et se nomme tantôt Phanes (l’apparaître) tantôt Eros. Le monde ne se crée pas comme dans les cosmogonies inspirées d’Hésiode, ce n’est pas le résultat d’un travail progressif, mais d’un éclat extraordinaire dont le ciel étoilé garde encore la trace et dont les artistes, à l’image d’Orphée, cherche d’autres traces et éblouissements.

Depuis longtemps Eizo fait fleurir le sel à la surface de ces dessins, il le cultive dans l’intimité de ses papiers. Il nous a habitués à voir la lumière sourdre du noir le plus obscur de l’encre de Chine. A chaque dessin l’enchantement se renouvelle, dans la rencontre des matières translucides, dans les vibrations de ses étranges fleurs amphibies, dans tout ce qui s’éparpille au vent léger, au souffle inspiré de la nature…

Mais Eizo ne serait pas tout à fait Orphée s’il n’affrontait pas les ténèbres et la mort : il diffuse la légèreté et l’enchantement depuis 2011, la catastrophe de Fukushima :

« Maintenant que je vois ces cristaux, jusqu’alors invisibles, apparaître à la surface de l’image sous l’effet de la lumière, je pense que cela représente une expression artistique que je recherchais, assez subtile et claire pour désigner les risques occultes que l’on court. »

Et dans cet ours travaillé au sel gemme, c’est toute une mer disparue qui ressuscite…

HCE Galerie mars 2019



Le sel de la terre

Depuis la catastrophe de Fukushima Eizo Sakata expérimente en artiste un autre rapport au monde, soucieux de prévenir les blessures écologiques de notre planète et de révéler la beauté et le pouvoir expressif des éléments qui la constituent, les végétaux, l’eau de pluie, le sel…Ses dessins à l’eau de mer sont le résultat de protocoles expérimentaux et poétiques, d’une recherche commencée en 2013 et qui depuis évolue, dont il vient de faire la passionnante chronique dans un livre récemment édité « la mer vient à moi »

Le sel de ces deux dessins provient des salines de Uyuni en Bolivie, les plus vastes au monde, qui recèlent dans leur écrin transparent la légende de la « déesse au grand galop » et de « la belle d’Ischia ». Les cristaux de sel se déposent sur le papier, s’unissent à l’encre de chine et en séchant se mettent à scintiller, sèment des soleils noirs, des aréoles et auréoles vivantes et réactives. Le papier reçoit ces empreintes, les absorbe avec tact, laisse aux concrétions le temps de mûrir, toujours à la limite ténue de l’épanouissement et de l’évanouissement, dans l’attente d’une cristallisation quasi amoureuse. Dans ce processus qui évoque la création du monde l’artiste intervient avec ses instruments, ses fioles et ses pipettes avec une délicatesse ajustée à l’infime des mouvements qui s’ébauchent et des merveilles que le hasard garde en réserve. Le dessin est pour lui un lâcher- prise, une remontée aux sources et à l’origine, une approche du rien qui est comme le tout de l’être, au « point de la création » comme on dit « au point du jour », quand il n’y a que du blanc et du noir et le seul jeu de la lumière et de l’ombre.

HCE Galerie avril 2020