Expositions
Leave a comment

La Paix, “volumen” de Simone

Simone


La Paix, Volumen* de Simone

ouverture le samedi 20 juin à partir de 15h

exposition du 20 juin au 25 juillet

vernissage dans le respect des règles de sécurité ce samedi 20 juin à partir de 15h, en présence de l’artiste et de Automne au violoncelle

samedi 27 juin à partir de 18h

présentation et enchaînement des thèmes du Volumen de Simone, en présence de l’artiste.Révélations ethnologiques sur le corbeau

Aux environs de Pâques le confinement s’est bien installé, il s’épaissit s’alourdit à l’extérieur comme à l’intérieur. Il étend son voile de menaces sur toutes les dimensions de la vie économique, sociale, affective, il est de plus en plus intrusif dans les esprits et même les cœurs ; Fred son mari lui parle de paix, de la paix à retrouver, un mot auquel elle riposte par un sursaut, la force de la nécessité, le « il faut créer »de Van Gogh. Julie Desquand a bien un projet de dessin, un rouleau de papier arche 350 g de dix mètres, un accompagnement de musiques porteuses qui lui insufflent « lâche ton fou », « fais sortir le singe qui est en toi »…Tout cela se télescope, elle se met à dessiner avec frénésie toute la journée, en déroulant son rouleau, en travaillant pan par pan, sur le support restreint de sa table de cuisine, ou par terre, à même la portion libérée. Elle s’absorbe dans l’emportement de sa main, de son geste qui recueille les images chaotiques du monde en crise, qui jour après jour se relient, s’interpénètrent, s’enchaînent, suggèrent des itinéraires, une sortie du chaos. Une fois parvenue « au bout du rouleau » elle peut suivre sa traversée rétrospectivement, s’interroger sur sa trajectoire créatrice et l’horizon qui s’est dégagé au fil de cette aventure somnambulique. La crise y est une épreuve de vérité, comme toute crise ; elle ouvre avec « discernement » sur des tableaux de dessins esquissés, ébauchés, achevés et toujours suspendus à un devenir, mines inépuisables d’histoires et de mythes, de références culturelles et d’échos du monde qui ont conduit cette main créatrice, où notre œil se met à naviguer en quête de courants porteurs, de vents favorables. Dans ce tumulte une balise : une fresque de 16 m de long de Yoshio Fujimaki, « Sumida river », tous les édifices et scènes captées en remontant la Sumida, la rivière qui traverse Tokyo, vers 1930, dans un temps où le Japon connaissait des temps désastreux.

Depuis l’enfance Julie Desquand voyage dans les images et les imagiers, dans les herbiers et les planches botaniques, animalières, dans les cartographies de la terre et du ciel, avec une sensibilité aigüe au travail de représentation, au devenir image du monde, à la manière dont les choses sont rendues intensément présentes au prix de multiples opérations : ressemblance et analogie, condensation, déplacement, transfert, métaphore ou métamorphose…Son trait, la main armée de l’œil navigue entre les deux pôles de l’image, le pôle réel, celui de l’observation active et de l’attention passionnée à la forme et au détail (l’extraordinaire sophistication d’une feuille de pissenlit dans la série des feuilles possibles) et le pôle de l’irréel, l’appel à l’imaginaire qui pénètre la chose dans ses dimensions les plus secrètes et la situe dans la chaîne des êtres, ne serait-ce que par son nom et ses différentes dénominations (pisse-en-lit et « dent-de lion », « dandelion » en anglais, Löwenzahn en allemand…,) : on trouvera dans cette fresque un dessin qui associe un lion et un pissenlit, mais aussi un palmier? Le fantastique est bien à l’intérieur des choses !

Sa fresque est un dessin, mais dans son esprit c’est comme une gravure ; elle avait sous la main un papier épais sur lequel le stylo ne glisse pas, elle dit s’être reprise à plusieurs fois à inciser son trait dans la matière, avoir même été arrêtée par une tendinite. Elle ne peut parler de son travail sans le dissocier de celui de son père, illustre graveur, fils et petit -fils de graveur, qui réalise des sceaux, des blasons gravés sur chevalières, toute une imagerie associée à l’héraldique pour définir une ligne à transmettre, une histoire, une identité, une empreinte très pure et très vivante, telle la signature d’une personne ou d’une tradition familiale. Dans la même lignée, et parce qu’elle a grandi dans ce champ de forces, Julie se situe dans cette recherche de la « signature des choses », une représentation du monde active jusqu’au seizième siècle, désuète maintenant dans les domaines technique et scientifique, mais toujours fondatrice dans l’esthétique : créer, c’est signifier dans la chose ce qui la relie à toutes les autres choses, la met en résonance avec elles dans un réseau de correspondances, entre ciel et terre. Et donc dans cette fresque les images transitent des constellations du ciel aux choses terrestres qui captent son attention, elles se propagent par contigüité, s’engendrent dans la continuité, se contaminent à mesure que le rouleau se déroule. Elles dessinent des mouvements à suivre, à l’image des caravanes qui traversent la fresque, caravanes de migrants, d’hommes d’affaires, d’oiseaux, des tourbillons et cyclones qui brassent les images, anticipations, signes précurseurs de la voie à suivre pour s’en sortir, de la ligne noire de la création qui s’esquisse depuis les ramures jusqu’aux plumes du corbeau, la ligne de l’outrenoir, la sombre mélodie de la gravure…Une débauche de traits, de hachures, d’estompages pour parvenir à l’horizon entrevu, ébauché, différé et toujours là.

Cette œuvre emblématique du confinement et de sa sortie suscite dans sa profusion et son brassage une attention soutenue au travail de l’image et du dessin, au trait qui caresse les choses, les ouvre à la fluctuation de leur devenir, à leur potentiel imaginaire, leur capacité à faire vivre les histoires et légendes enracinées dans un monde où l’inconscient s’unit à l’épaisseur des choses. Dans un petit « lopin » de cette fresque, le trait glisse, se transporte, donne naissance à un squale vu de dessous, à une barque, à un canard pataud, autant de métamorphoses du milieu aquatique réconciliant ce qui nous menace et nous porte en même temps. Un étrange animal est bien présent, l’hydre d’eau douce, petit animal étrange des bords de marais, assez effrayant dans sa forme végétale et ses « bras » ou tentacules qui repoussent quand on les coupe, assez fort pour avoir inspiré les redoutables hydres de la mythologie ; on en retrouve des bouts un peu partout, dans les arbres, les corps humains ; sa capacité à se régénérer anime des pans entiers du dessin, les conjugaisons orgiaques des corps rendus à leur état végétal. Certaines légendes expliquent pourquoi le corbeau ne revient pas quand on l’envoie en messager : il aurait été effrayé par une hydre et se serait égaré dans le ciel. Voilà une œuvre qui peut avoir le pouvoir de nous faire chercher plus haut, jusqu’au ciel étoilé, la réponse à ses énigmes. Le ciel de cette fin mai nous raconte cette histoire : la petite constellation du corbeau est ceinturée par la ligne flexueuse de l’hydre. Voilà pour le corbeau, qui ne remplit pas ses promesses et se retrouve pourtant à la sortie de la fresque comme présence de l’outrenoir.

Nous sommes heureux à HCE Galerie d’accueillir ce travail qui s’ouvre à autant de regards et d’histoires qu’il y aura de visiteurs, qui se prête à tous les croisements de regards et d’histoires, qui suscite la question délicate du trajet que l’on emprunte dans la vie et qui anticipe nos projets, qui la traverse à l’image du « main stream » de cette œuvre.

Une œuvre dont l’exploration peut se poursuivre dans l’observation des plantes sauvages qui poussent le long des rues, celle des animaux curieux des bords de marais et celle du ciel au-dessus de nos têtes qui garde en mémoire tous nos mythes, de toutes les planches savantes où s’ancre une attention au monde dont nous sommes constamment distraits.

Et enfin parce que c’est une œuvre qui se glisse dans le trajet intime de la fondation de la galerie et de sa référence à Joyce ; un courant créatif la traverse, à l’image de la Liffey qui traverse Dublin, principe féminin de la cosmogonie, l’Anna Livia Plurabelle, l’incarnation multiple de la « grâce » la figure unique de l’inatteignable incarnation de l’être féminin, de la rivière du temps et de la vie qui sinue entre des péripéties, qui ne sont guère plus que des bavardages de lavandières s’invectivant d’une rive à l’autre…

HCE Galerie / G Quidet

*Ainsi nommait -on dans l’antiquité gréco-latine les « rouleaux » à lire, en les déroulant…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *